De Coumba SYLLA
AFP
DAKAR, le 22
févr. 2012 - Des accords de paix signés mais pas appliqués, des combats qui
alternent avec des périodes d'accalmie sur le terrain: depuis 30 ans, "la
guerre oubliée" de Casamance, dans le sud du Sénégal, empoisonne la vie
économique et politique du Sénégal, et représente un défi pour le prochain
président sénégalais.
"Nous voulons que la paix revienne ici", déclare à l'AFP sous couvert d'anonymat un haut
responsable économique à Ziguinchor, la principale ville de cette région
agricole et touristique séparée du nord du pays par la Gambie, où l'aspiration
à la paix est très largement partagée.
En décembre
1982, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) y a déclenché
une rébellion indépendantiste. Depuis, des périodes d'apaisement relatif sont
interrompues par des violences, avec des accrochages entre rebelles et militaires,
braquages armés et, dernièrement, rapts de membres de forces de sécurité, les
violences ayant connu une recrudescence depuis novembre dernier.
Cette
situation n'empêche pas des Occidentaux de fréquenter les zones touristiques,
généralement stables.
Le conflit
ne s'est jamais véritablement éteint et a fait des milliers de victimes civiles
et militaires - incluant morts et blessés -, des dizaines de milliers de
déplacés et réfugiés, sans qu'on puisse en établir un bilan précis.
Pourtant,
plusieurs accords ont été signés entre le MFDC et le gouvernement sénégalais,
et les parties se déclarent régulièrement disposées à négocier. En février
2005, elles s'étaient même donné quatre mois pour "cristalliser la
paix", sans résultats. La communauté catholique Sant'Egidio a récemment
été sollicitée pour tenter une nouvelle médiation.
"Il faut dire que les divisions du MFDC n'aident
pas", souligne anonymement un
quinquagénaire de la région ayant des contacts au sein de la rébellion, dont
les scissions se sont amplifiées depuis la mort, en décembre 2007, de son
leader historique, l'abbé Augustin Diamacoune Senghor.
Nouveau plan
de paix
L'actuel
chef de l'Etat Abdoulaye Wade, candidat à un nouveau mandat la présidentielle
de dimanche face à 13 autres candidats, a récemment reconnu avoir failli à sa
promesse de ramener la paix. A son arrivée au pouvoir en 2000 - il a été réélu
en 2007 - il s'était engagé à résoudre le conflit "en 100 jours".
"Ca fait des années que je cherche la paix en
Casamance, en vain. Mais maintenant, je suis confiant que c'est pour bientôt.
Nous sommes en discussion avec toutes les franges du maquis du MFDC qui sont
aussi pour la paix", a-t-il dit
lors d'un meeting électoral le 11 février à Bignona, près de Ziguinchor).
"Mais le chemin pour y parvenir peut être
long", a-t-il ajouté, en annonçant un
nouveau plan: "Désarmement, déminage
et projets (DDP)", qui prévoit la mise en culture, après leur
déminage, de près 100.000 hectares de terres agricoles dans trois communes,
"pour que les rebelles quittent le maquis".
Début
janvier, SOS Casamance, organisation humanitaire créée en 2001, avait fustigé
l'engagement non tenu de M. Wade concernant la résolution du conflit, et la
gestion de la crise par son régime qui, avait-elle accusé, "s'est illustré
dans le pourrissement du conflit avec, à la clé, la mise en place d'un système
de division par la corruption, de l'aile combattante et politique du
MFDC".
"Cette situation de +ni paix, ni guerre+ ne
profite qu'à certains individus", déplore
aujourd'hui l'ONG, qui a lancé mi 2011 une pétition internationale baptisée "Je vote pour la paix en Casamance en
2012".
Le texte est
"un message solennel adressé aux
politiques, particulièrement à ceux qui aspirent à nous gouverner, pour une
prise en compte effective et un engagement indéfectible" à mettre fin
à ce conflit trentenaire, indique-t-elle.
Des femmes
de la région regroupées au sein d'une "plate-forme
des femmes pour la paix en Casamance" ont, elles, rédigé un
"mémorandum" ayant valeur de "serment", à l'attention des
candidats à la présidentielle, les engageant "à l'ouverture de
négociations sincères" avec le MFDC dès leur élection.
Copyright © 2012 AFP.
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Sant’egidio
et le plan DDP, les nouvelles bottes magiques de Wade ?
Face à la recrudescence de la violence notamment dans la seconde
moitié de l’année 2O11 et à l’impasse notée depuis quelques années, le
gouvernement du Sénégal s’est tourné vers la Communauté catholique de
Sant‘Egidio** connue dans la médiation des conflits pour aider à la résolution
pacifique de la crise qui secoue la région méridionale du pays depuis trois
décennies maintenant.
Par Hubert SAGNA
Journaliste, Ziguinchor
Alors que la descente du drapeau national pour le remplacer par un
autre, en décembre 1982, à la Gouvernance de Ziguinchor, n’était rien
d’autre que la face visible d’un
problème à la fois profond et complexe, le Président Diouf estima qu’il pouvait
régler la question à travers une simple « opération de police ».
Cette simple « opération de police » ou encore cette « solution
policière et judiciaire» contre tout individu suspecté ou tout simplement
accusé d’appartenir au Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance
(MFDC) s’est traduite sur le terrain par des fouilles, des perquisitions
systématiques, des dénonciations fausses ou vraies, d’arrestations massives de
population, d’enlèvement, d’exécutions sommaires ainsi que d’emprisonnement
pour « atteinte à la sûreté de
l’Etat ». Une manière forte pour
« tuer le poussin dans l’œuf ». Cette façon de faire a non
seulement montré ses limites mais a surtout constitué un nid, un vivier pour le
mouvement indépendantiste. Evoquant son arrestation, le 23 décembre 1982, Abbé
Diamacoune Senghor déclara que c’est le « plus beau cadeau de Noël que le
Président Diouf a fait à la Casamance ». Comme le chef charismatique du
MFDC, nombreux sont ceux qui ont préféré rejoindre le maquis pour échapper à
l’arrestation ou à la mort.
Depuis, le conflit a pris des proportions inquiétantes. A cet âge,
souligne le journaliste écrivain Omar Diatta dans le journal la Sentinelle du
12 janvier 2010, le « conflit casamançais est le plus vieux en Afrique de
l’Ouest. Il est en même temps le plus grand défi auquel le Sénégal contemporain
est confronté ». Deux régimes, dit-il, se « sont succédé et aucun n’a réussi la prouesse d’offrir aux
sénégalais une paix définitive en Casamance ». Pendant ce temps,
poursuit Omar Diatta, le « conflit continue de charrier son lot quotidien
de morts, blessés, réfugiés, disparus, de victimes de mines … ».
Malgré les rencontres notamment de Banjul I, II et III en 1999 et celle tenue à
Foundiougne en 2005, malgré les différentes options militaires prises par
moments, les nombreux appels à la paix et à la négociation, la crise
casamançaise se retrouve, aujourd’hui, dans une impasse sans précédent.
Les raisons qui expliquent la situation de « ni paix ni
guerre en Casamance sont à chercher à partir de l’échec de « Foundiougne
0I ». Ensuite la mort du Secrétaire général du mouvement et l’absence
d’interlocuteur crédible au sein du MFDC. Les affrontements fratricides qui ont
opposé les différentes factions rebelles en mars 2006 au sud de la région et
les opérations entreprises par l’armée en août de la même année tout au long de
la frontière avec la Gambie, tout comme la politique du pourrissement menée par
l’Etat constituent aussi autant de facteurs qui ont plombé la recherche de paix
en Casamance.
Face à la recrudescence de la violence notée depuis quelques temps
maintenant, des voix multiples se sont élevées pour demander aux protagonistes
de se retrouver autour d’une table de négociation. C’est dans ce cadre qu’il
faut inscrire l’initiative prise par le Président Wade demandant à la
Communauté catholique de Sant‘Egidio, spécialisée dans la médiation de
conflits, d’aider à la résolution de la crise en Casamance. La récente sortie
de Salif Sadio*** indiquant sa disponibilité à négocier participe de la volonté
des uns et des autres à travailler dans le sens d’une solution négociée à la
crise qui se traduira sur le terrain par la mise en œuvre du plan de
Désarmement, Déminage et de Projets (DDP) que vient d’annoncer le candidat des
FAL 2012, Abdoulaye Wade à Ziguinchor et à Bignona où il s’est rendu pour les
besoins de la campagne électorale de la Présidentielle du 26 février prochain.
* Démilitarisation, déminage et projets
** La
Communauté de Sant’Egidio est une organisation catholique fondée en 1968 à Rome
(Italie). Connue pour ses nombreuses médiations de paix dans les conflits armés
et politiques, notamment africains. L’organisation a notamment pris une part
très importante dans le processus qui a abouti à la signature d’un accord de
paix le 4 octobre 1992 au Mozambique, mettant fin à une guerre civile qui a
duré 15 ans et qui a fait des centaines de milliers de morts. Avant d’aboutir,
les négociations menées par le fondateur de la Communauté, le professeur Andréa
Riccardi, ont duré 27 mois. Mario Giro, responsable des relations
internationales de cette communauté rappelle à quel point il est important de «
prendre le temps nécessaire pour négocier et discuter avec tout le monde,
comprendre les raisons des uns et des autres et les mettre ensemble en vue de
la recherche d’une solution durable à la crise qui se pose ». La Communauté
s’est également distinguée, récemment en Guinée-Conakry, au Niger et en Côte
d’Ivoire, mais aussi par le passé, au Burundi. Le rôle important de la
Communauté dans la médiation politique est reconnu civilement le 16 novembre
2011 lorsque Andrea Riccardi, son fondateur, est nommé ministre de la
Coopération internationale dans le gouvernement de Mario Monti. Source :
www.rfi.fr le 1er février 2012
***
Salif Sadio, est le commandant en chef d’une partie des combattants du MFDC.
Fin janvier il a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP), à Dakar, qu’il serait
‘’disponible au dialogue’’, si la concertation avec le gouvernement sénégalais
avait lieu ‘’en terrain neutre, hors d’Afrique‘’. Le président Abdoulaye Wade a
récemment déclaré avoir demandé à la communauté de Sant ‘Egidio de jouer les
médiateurs entre le gouvernement et la tendance du MFDC dirigée par Salif
Sadio, afin d’arriver à la paix en Casamance.
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